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dgrverrances
23 mai 2007

La suite de la suite

Je me dis donc qu'il doit bien y avoir un cinema dans le coin.

C'est a ce moment-la que m'aborde Amar. Il a un sac qui pend sur le cote, il est propre et bien habille(il m'apprend qu'il se lave et lave ses vetements tous les jours pour 5 Rs) et il cire les chaussures. A 2 Rs le cirage, il ne gagne pas plus de 30 Rs par jour. On le prend pour un mendiant.

Je lui demande s'il y a un cinema dans le coin. Il me dit qu'il va m'emmener, que c'est son plaisir. Je me demande comme toujours ce qu'il veut.

Ce que je vous raconte sur lui emane bien sur de lui et ne peut etre verifie. En general, la moitie des histoires qu'on entend sont fausses ou exagerees. Mais etonnnament, je le crois. Son pere etait architecte et ils vivaient au Rajasthan, mais ce dernier est mort il y a un an et demi, et la famille n'a plus eu de revenus. Ils ont du debarquer a Bombay en quete d'argent. Ils vivent dans la rue. Sa mere mendie, et il a une petite soeur. Quand Amar parle, il ne s'emporte pas. Il est calme est reserve. Meme quand il dit qu'il a honte pour sa mere. Je crois que c'est le premier pauvre digne que je rencontre. Apres, il a tres bien pu tuer ou etre inutilement cruel a un moment ou a un autre, impossible de le savoir. Un indice tout de meme : il parle un tres bon anglais. Quand je lui demande s'il etait un bon eleve, il me repond que oui. Je me demande comment il a pu ne pas etre ronge par l'amertume et l'injustice de la vie, lui qui connait fort bien le foot, les clubs francais, les joueurs,...

Des qu'il parle de la boite que les cireurs de chaussure ont, je comprend que c'est a ca qu'il pense. Il pourrait gagner 100Rs par jour et les gardiens le laisseraient s'installer a la station de train (il me raconte qu'ils l'ont tabasse quand il avait essaye de s'y installer avec son petit sac). Mais lui ne m'agresse pas. Je sais qu'il ne me demandera rien, et il m'amene en effet jusqu'a deux cinemas tout en continuant a discuter tranquillement. C'est la que je decide de passer a moitie outre ma mefiance indienne et de suivre mon intuition. Un signal dans ma tete me dit que c'est quelqu'un de bien et que je peux lui faire confiance. Et pour tout vous dire, c'est la premiere fois (avec bien sur Ashley, mais beaucoup plus fort cette fois-ci) depuis que je suis en Inde (du moins pour un Indien). La seance est a 21h30, et il est 19h. Je lui dit de m'emmener au magasin ou on vend ces boites pour cireur.

Il m'emmene alors de l'autre cote du miroir, de l'autre cote du chemin de fer. La-bas, c'est le marche des pauvres : autant du cote ou j'etais, c'etait magasins chics avec gardiens, cinemas, immeubles en construction, riches indiens, voitures avec chauffeur, autant de ce cote-la, tout est decrepi, pas un blanc en vue depuis une date si lointaine que tout le monde l'a oubliee. Ici, c'est le marche des pauvres. Tout est a moitie prix. Je n'aurais jamais vu ca sans Amar. Raison de plus pour continuer. On emprunte une ruelle sombre et juste assez large pour que deux personnes s'y croisent. Il fait nuit noire maintenant. Les seules lumieres sont celles qui sortent par les portes ouvertes. Je n'ai pas besoin de preciser que j'ai peur malgre tout.

Amar me fait monter une echelle-escalier de metal jusqu'a une piece ou vivent 7 personnes de la famille de celui qui fait les boites pour les cireurs. Il y a les deux parents, assis dans un coin, une jeune fille de 12 ou 14 ans, un jeune homme guere plus vieux, le vendeur... Ils ont une tele, et se montrent tres gentils, mais pas d'une maniere vile. Ca me fait du bien d'etre accueilli. Je laisse tomber une sandale en bas de l'echelle, ils ont tous tres peur que je me tue, mais je descend la chercher.

Ce que j'essaye d'expliquer, c'est qu'ici, l'atmosphere est plus normale, plus humaine. Certes, ils savent que je suis la pour leur acheter quelque chose, et je suis probablement le premier blanc a entrer chez eux (sauf si c'est une combine pour arracher de l'argent a de gentils et naifs imbeciles qui ne connaisent rien a la vie), mais ici ils voient en moi quelque chose d'un peu different. Je crois, mais c'est peut-etre de l'europeanomorphisme, que c'est du au fait que je suis la pour une bonne raison tres precise, et qu'ils respectent cela.

Le vendeur de boite pose pour moi un coussin et une couverture contre un mur au milieu de la piece. Ils me proposent des boissons, mais meme si j'ai confiance, je refuse. Principe de precaution. Je reste un etranger et supposement avec de l'argent sur moi et des objets de riche qui se vendraient au prix fort. La negociation s'engage. Amar m'avait dit que la boite coutait 280 Rs. Mais il ne m'avait pas precise qu'avec tout le necessaire contenu dans la boite, celle-ci coutait 750 Rs. Je reflechis, regarde les prix. Comme toujours, quand on n'y connait rien, aucun moyen de savoir. Je decide de faire confiance. Je propose a Amar de payer 650 Rs et de lui laisser 100 Rs a payer plus tard.

Affaire conclue, le vendeur veut bien faire credit. Ils me proposent encore du tchai avec force courbettes. Je cede, puis refuse a nouveau. Nous repartons. Amar est tres heureux et me le repete une ou deux fois, mais garde sa retenue. La boite est lourde. En partant, les parents du vendeur me remercient.

Il m'emmene jusqu'au cinema par un shortcut qui traverse les voies de chemin de fer dans le noir. Et il s'agit d'une dizaine de voies... On se separe la. Je prend une photo de lui et une ou on est cote a cote. Je l'ai revue hier soir, et ce qui m'a frappe, c'est la ressemblance entre nous deux. J'aurais pu etre lui et lui moi... on a vraiment le meme regard, la meme joie, quelque part, la meme douleur...

Finalement, je ne vais pas au cinema. J'ai peur de rater le dernier train. J'appelle le coordinateur de mon deuxieme tournage. Trop tard pour mercredi, il a deja tous ceux dont il a besoin. Eh zut !!! Si seulement j'avais un portable, le business pourrait marcher pour moi...

Retour a Churchgate et mon quartier. Juste a cote de chez moi,je croise Jennifer et Antoine, deux francais en stage pour deux mois a Bombay et que j'avais croises a mon premier tournage. Un vendeur de fruits veut les arnaquer en leur vendant 80 Rs une pasteque qui en vaut 20 ! Je leur trouve bien du courage, n'osant pas encore me lancer dans la negociation de fruits et autres denrees au prix inconnu. On se pose dans un petit restaurant pour devorer deux delicieux cheeze nan. Discussion. Ca fait du bien. Puis, on va retrouver un indien en chaise roulante (a trois roues), cireur de chaussures et vendeur de drogues par ailleurs. Les deux stagiaires l'aiment beaucoup. On se pose sur le bord de mer, pres du Gateway of India. Il surveille la police. Un indien valide est avec lui. Je rentre a 1h30 finalement. Long sommeil. Aujourd'hui, mercredi, journee plus tranquille. Je vais essayer de joindre Ashley et de trouver du travail pour demain, en attendant qu'on me dise que je ne suis pas pris pour le casting.

Merci de me lire.

dgrv

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Commentaires
L
merci de nous écrire !<br /> Bonne chance pour la suite Daniel !
L
Daniel, ne nous remercie pas de te lire, c'est juste un énorme plaisir pour nous... <br /> Ton périple en Inde est mieux qu'un film d'aventures, car au moins, là on se dit qu'on pourrait être à ta place, et c'est palpitant!<br /> Je n'ai pas réussi à t'écrire la dernière fois sur msn, un problème de connexion sans doute, mais je sautais partout en te voyant m'écrire!
dgrverrances
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